Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 25 juillet 2017

Le Vagabond de Tokyo - Tōkyō Nagaremono, Seijun Suzuki (1966)

Tetsu, yakuza et favori de Kurata, le chef de son clan, décide de se ranger. Kurata lui offre un travail régulier. Mais cette faveur leur vaudra les critiques d'Otsuka, un autre chef de clan. Ainsi Tesu est condamné à quitter Tōkyō, et devenir une sorte de yakuza errant, un vagabond, pour préserver l'honneur de Kurata.

Le Vagabond de Tokyo est le film qui amorce la chute de Seijun Suzuki avant la rupture définitive et le renvoi de la Nikkatsu que causera La Marque du tueur (1967). Le film est à contre-courant avec ce genre du yakuza-eiga alors en déclin et qui forcera la Nikkatsu à une mue radicale en se réorientant vers le roman porno. Pourtant sur le papier Le Vagabond de Tokyo avait tout pour plaire, son postulat mêlant habilement archétype du genre mais aussi des thématiques novatrices avec une démythification de l’imagerie chevaleresque du yakuza, popularisé quelques années plus tard par la série des Combats sans code d’honneur ou Le Cimetière de la morale (1975) de Kinji Fukasaku. Si le classicisme sert un certain confort du genre pour le spectateur et l’innovation un renouveau thématique, Suzuki n’emprunte aucune de voies, Le Vagabond de Tokyo étant un pur terrain d’expérimentation formelle.

Tout le film constitue un va et vient entre les conventions et cette bascule, les aspects (décors, situations) initiés par le réalisateur dans ses films précédents étant constamment malmenés. Tetsu (Tetsuya Watari) est un homme de main sans but depuis que son chef de clan Kurata (Ryuji Kita)  s’est rangé des affaires. Seulement les biens des repentis suscitent la convoitise des autres clans yakuza qui vont monter un complot diabolique pour parvenir à leur fin. La réussite du piège ne tient qu’à la profonde fidélité et au lien quasi filial qu’entretient Tetsu avec Kurata et qui lui a fait renoncer à tout, son honneur mais aussi son amour pour la chanteuse Chiharu (Chieko Matsubara). Seijun Suzuki dresse visuellement une dichotomie entre la distance prise par Tetsu avec le monde yakuza et une réalité criminelle qui le poursuit inlassablament. L’ouverture en noir et blanc montre donc notre héros subir un passage à tabac sans broncher, un élément en couleur exprimant la tentation à renouer avec sa vie violente. L’abstraction des situations et des décors ne servent qu’à construire un fossé entre la droiture désuète de Tetsu et un monde des yakuza déliquescent où seules les valeurs de l’argent ont désormais cours.

 La stylisation bariolée des environnements yakuzas associés à la corruption urbaine de Tokyo s’afficheront donc peu en peu en parallèle de l’épure de l’errance rurale d’un Tetsu exilé. Le passé se rappelle constamment à lui par la violence et les sbires de ses ennemis qui le poursuivent. C’est également les seuls lieux où une amitié sincère peut se manifester à travers un yakuza indépendant et lucide. C’est par lui que notre héros prend douloureusement conscience de son statut de petite main à sacrifier sur l’autel du profit. Cet espace mental de confusion et de solitude est l’occasion pour Suzuki d’exploiter à son avantage les coupes budgétaire d’une Nikkatsu de plus en plus réfractaire à ses écarts. 

Les scènes d’actions tiennent parfois lieux de quasi aparté et/ou insert sans début ni conclusion s’immiscent dans un rebondissement dramatique plus vaste et le gimmick pop (par effet de lumière ou cadrage inattendu) rend chacun de ces instants indélébiles à la rétine. Le tout culminera dans un mémorable climax final où les comptes se règlent dans un décor blanc immaculé et dépouillé où le changement de couleur de veste du héros tient lieu d’émancipation dans un déchaînement de violence. Un objet inclassable à l’influence considérable dont la plus récente et assumée sera La La Land de Damien Chazelle. Une belle mise en bouche avant l’ultime outrage que sera La Marque du tueur. 

 Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films

 

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