Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 13 février 2017

La 317e Section - Pierre Schoendoerffer (1965)

En 1954, en pleine guerre d'Indochine, la 317e section locale supplétive composée de 4 Français et de 41 Laotiens doit abandonner le petit poste de Luong Ba à la frontière du Laos, et rallier Tao Tsaï à cent cinquante kilomètres plus au sud, à travers la forêt hostile et les forces Viêt-Minh qui déferlent sur les Français. Elle est commandée par quatre officiers et sous-officiers français, dont le jeune sous-lieutenant Torrens secondé par l'adjudant Willsdorff, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de cette fuite ponctuée d'embuscades et de morts, le respect hiérarchique entre les deux hommes se transforme en amitié.

La 317e Section est un des rares films à évoquer la guerre d’Indochine, long et sanglant conflit qui marque la fin de l’empire colonial français. Pierre Schoendoerffer par son goût du romanesque (marqué par des influences littéraires allant de Joseph Conrad à son mentor Joseph Kessel) et son attrait de l’ailleurs (développé précocement par une expérience de matelot à 19 ans) ainsi que de sa vraie expérience du conflit, était le candidat idéal pour le mettre en image. Il se porte volontaire pour l’Indochine après son service militaire et filme la guerre de 1952 à la chute de la bataille de Ðiện Biên Phủ en 1954 où il est fait prisonnier avec toute la garnison. Cette expérience le marquera durablement, au point d’être le sujet de plusieurs romans et films de sa carrière de cinéaste et d’écrivain : La 317e Section et Diên Biên Phu (1992) ou encore L’Adieu au roi (1989) magnifiquement adapté par John Milius - qui s'en inspirera aussi pour son scénario d'Apocalypse Now (1979).

C’est faute de pouvoir concrétiser ses projets cinématographiques que Pierre Schoendoerffer se tourne vers l’écriture et signe son premier roman avec La 317e Section qui parait et connait le succès en 1963. Joseph Kessel avait quelques années plus tôt présenté Schoendoerffer au futur producteur emblématique de la Nouvelle Vague, Georges de Beauregard. Kessel l’impose sur La Passe du diable (1958) dont il écrit le scénario puis lancé Schoendoerffer réalise Ramuntcho (1959) et Pêcheur d’Islande (1959) où se confirme cette veine aventurière. La 317e Section sera ainsi sa première œuvre personnelle et ambitieuse et celle où se constitue le socle de ses meilleurs films, que ce soit justement Georges de Beauregard à la production, Raoul Coutard à la photo et Bruno Crémer et Jacques Perrin au casting. Soucieux de retranscrire au plus près son vécu, Schoendoerffer imposera des conditions spartiates à son équipe bivouaquant dans la jungle cambodgienne lourdement chargée, approvisionnée par avion et se levant aux aurores durant le mois de tournage. Le cinéaste opère un changement majeur par rapport à son roman avec un point de départ passant du 26 avril 1953 au 4 mai 1954. Cela rapproche les évènements de la Bataille de Diên Biên Phu et participe au ton désenchanté et crépusculaire du film, marquant la fin d’une ère.

On suit donc la fuite effrénée de cette 317e section, seul vestige de cet empire colonial qui s’effondre dans des contrées sauvages, nid de multiples assaillants invisible. L’ennemi intéresse moins le réalisateur que de scruter le moral vacillant des troupes menées par le jeune sous-lieutenant Torrens (Jacques Perrin) et l'adjudant Willsdorff (Bruno Crémer) plus expérimenté. Au départ la fougue aventurière du jeune homme (voir son exaltation lors de la première confrontation armée) et l’attachement du vieux baroudeur à ces contrées (son geste d’humeur au moment du départ, son désir de s’installer sur place s’il était démobilisé) offre un réel attrait qui annonce l’ivresse du héros de L’Adieu au roi. La frontière est ténue dans le rapport des blancs aux autochtones, entre paternalisme colonial et sincère attachement et responsabilité sur le terrain. Le réalisme souhaité par Pierre Schoendoerffer s’affirme à plusieurs niveaux. 

Dans les conditions de tournages comme précédemment évoqués, mais également par le naturel de ses protagonistes dans l’action. Bruno Crémer impose un charisme confondants, le phrasé détendu et autoritaire (magnifique moment où il raconte une anecdote guerrière à Jacques Perrin, truffés de petites interruption où transpire ce réalisme sans forcer le trait) laissant avec naturel comprendre sa connaissance du terrain, des us et coutumes des locaux. Le récit ne cède pas à une bête opposition entre le novice et l’ancien, le respect du grade se faisant tout en cherchant à transmettre cette expérience. Willsdorff (d’ailleurs frère du héros d’une autre épopée de Pierre Schoendoerffer, Le Crabe-tambour (1977)) se pliera ainsi à la volonté de Torrens de ne pas abandonner les blessés même si l’avenir lui donnera raison, et la confiance et la quête de conseil auprès de l’aîné se fait au fil de cet apprentissage, sans conflit.

La mise en scène rend les protagonistes de plus en plus étrangers au lieu, dans les images somptueuses de Raoul Coutard comme dans l’incarnation des personnages à l’écran. Des éléments simples traduisent la supposée domination des colons (le plan de Perrin visant un adversaire dans la lunette de son fusil) pour toujours être bousculés dans la scène suivante. La jeunesse fougueuse de Torrens se désagrège pour faire de lui un squelette déshydraté par les rigueurs de la jungle, les préceptes humaniste cèdent à la réalité guerrière (les cadavres désormais abandonnés sans enterrement, voire piégé) et les faits d’armes sont pitoyable telle cette tentative de refaire « la charge de la brigade légère » dénué de panache et d’héroïsme. 

A l’image de la mort lente et douloureuse du sergent Roudier (Pierre Fabre) adoucie par les senteurs de l’opium, l’homme blanc n’est plus qu’un spectre amené à disparaître en ces lieux dont l’attrait ne tient plus qu’à une illusion toxique. La sècheresse de l’ouverture et du final porté par une musique austère et une voix-off façon film d’actualité traduisent cette dimension inéluctable, faisant brillamment osciller le film entre veine documentaire et oraison funèbre d’un monde révolu. 

Sorti en dvd zone 2 français chez StudioCanal

2 commentaires:

  1. Bonjour, je revois cette bande en songeant à mon père qui vient de mourir (Indochine 49-52) puis Maroc, Algérie, comme tant d'autres. En songeant à tous ceux que j'ai connus, anciens du Tonkin, du Laos et à tous ceux dont je n'ai qu'entendu parler parce qu'ils y étaient morts comme un cousin de mon père, aspirant au régiment de chasseurs laotiens, tué en novembre 1946. Merci.

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    1. Merci à vous et sincères condoléances pour votre père.

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