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lundi 13 juin 2016

Indiscrétions - The Philadelphia Story, George Cukor (1940)

Fille de la haute société de Philadelphie et de fort tempérament, Tracy Lord a gardé peu de temps son premier mari, le playboy C.K. Dexter Haven. Deux ans plus tard, elle est sur le point de se remarier avec un homme d'affaires en vue, ce qui intéresse au plus haut point le magazine Spy, à qui Dexter promet les entrées nécessaires à ses deux reporters, le journaliste Macaulay Connor et la photographe Liz Imbrie.

Après avoir aligné sept échecs commerciaux avec ses derniers rôles, Katharine Hepburn se voit qualifier par les exploitants de salle américains du surnom peu glorieux de « box-office poison ». La star va donc décider de relancer sa carrière sur scène en se façonnant un écrin sur mesure avec la pièce The Philadelphia Story. Philip Barry écrit donc le rôle spécifiquement pour Katharine Hepburn en jouant justement sur cette image distant et hautaine qu’elle peut dégager, pour mieux la fissurer et l’humaniser aux yeux du public. L’idée de l’actrice est d’avoir un véhicule qu’elle sera la seule capable de porter aux yeux des studios en cas d’adaptation cinématographique. L’immense succès de la pièce impose l’idée et Katharine Hepburn sécurise sa présence en en achetant les droits (avec l’aide de son ami Howard Hughes), devenant ainsi productrice et à même de mieux imposer ses volontés à la MGM. Tous les atouts sont réunis avec l’engagement de son réalisateur fétiche George Cukor tandis que le studio tente d’atténuer les effets du « box-office poison » en alignant deux stars masculines majeures avec Cary Grant et James Stewart.

The Philadelphia Story est une continuité des comédies sophistiquées de George Cukor où il fustigeait les mœurs aristocratiques comme Les Invités de Huit heures (1933), Haute Société (1933) ou encore le merveilleux Vacances (1938). La donne change légèrement ici puisqu’il s’agit moins de critiquer un milieu que les attitudes hautaines et la froideur qu’il suscite en sacrifiant tout aux apparences. Tracy Lords (Katharine Hepburn) en est un produit typique, s’habillant, causant et se comportant tel que son rang l’exige et attendant la même perfection de son entourage. L’hilarante scène d’ouverture montre la séparation muette d’avec son premier époux C.K. Dexter Haven (Cary Grant), Tracy gardant dignité tout en affirmant un cruel mépris tandis que C.K. plus humain et moins guindé la repousse d’une chiquenaude. Deux ans plus tard Tracy semble avoir trouvé chaussure à son pied avec l’insipide George Kittredge (John Howard), homme d’affaire qui voit justement en elle cet objet parfait dont l’image contribuera à ses ambitions. Seulement la veille du mariage, C.K. revient tourmenter son ex épouse accompagné de deux journalistes incognito venu couvrir la cérémonie. L’un des deux, Mike Connor (James Stewart) est un écrivain sans le sous qui est le pendant inversé de Tracy. 

Cynique et revenu de tout, il juge toute cette bourgeoisie d’un bloc méprisant et superficiel. Par la grâce de quiproquos amusants, Cukor pousse dans leurs derniers retranchements les clichés que chacun se fait de l’autre. Connor est regardé de travers par les majordomes dès qu’il approche une argenterie de valeur, sa collègue photographe Liz (Ruth Hussey) mitraille de son appareil la moindre situation croustillantes tandis que Tracy - ayant deviné les intentions de ses « invités »- force largement le trait de l’aristocrate creuse. Voix haut perchée, gestuelle maniérée et saillies cinglante sous la candeur, Katharine Hepburn est grandiose dans ce registre revêche et sophistiqué. L’armure glaciale des unes et les préjugés des autres vont pourtant progressivement s’effriter, d’abord entre une Tracy étonnée de la sensibilité du livre de Connor, et ce dernier tout aussi surpris de voir l’aristocrate réceptive à son œuvre. Cary Grant est à la fois en retrait et essentiel. Présence gênante issue du passé, il fut rejeté car n’entrant pas dans l’idéal de perfection rêvé par Tracy trop égoïste pour voir sa détresse. 

Désormais remis même si toujours amoureux, il est l’agent de sa conscience qui lui révèlera son horrible rapport aux autres, famille comme époux : elle est une icône lointaine qu’il faut admirer respectueusement, à laquelle il faut se soumettre et se montrer digne. Tracy a ainsi rejeté un premier époux, un père volage et choisit d’épouser un homme sans éclat mais répondant à ce culte des apparences. Katharine Hepburn est absolument bouleversante dans la façon dont cette diatribe la fait vaciller. L’écriture brillante pousse chacune des situations suivantes à appuyer ce reproche, notamment un tête à tête avec ce fiancé énamouré donc chaque compliment est un coup de poignard tant son amour repose justement sur cette admiration respectueuse d’une vestale dont il faut rester ç distance respectueuse. La gestuelle de Katharine Hepburn se fait plus incertaine, la silhouette plus vaporeuse, le phrasé soudainement sans répondant et l’œil malicieux se baigne de larme. Cukor plie l’environnement à cette déchéance, faisant brutalement basculer le jour à la nuit comme pour écraser un peu plus Tracy dans une idée formelle relevant autant du cinéma que des racines théâtrales du récit.

Tout le reste du film ne sera qu’affaire de déconstruction, l’alcool laissant transparaître l’excentricité et la fantaisie de caractère de Tracy, mais aussi du bougon Connor. Cukor fait rebondir par le mouvement et le verbe l’alternance entre l’abandon à la légèreté et les retours maladroits à la retenue dans leur échange. Si James Stewart ne semble pas totalement à l’aise, ces vas et vient de ton rendent Katharine Hepburn encore plus touchante et vulnérable, si déçue quand la conversation reprend un tour guindé et poli. Le montage (les inserts sur les bagues et montres abandonnés), le rôle du décor (la piscine comme terrain de pertes des inhibitions) et le jeu sur la temporalité (avec la nuit les attitudes deviennent plus libérées) contribue également à exprimer ce changement d’attitude des personnages. 

Cary Grant est parfait de subtilité, observateur et acteur des évènements où l’amoureux transparait constamment sous le détachement. Il n’est pas là pour inciter, mais seulement aider Tracy à se révéler à elle-même pour faire naître cette flamme qui lui manque. On sera d’ailleurs très étonné de la manière explicite dont la froideur initiale de Tracy est associée aussi à sa sexualité, un dialogue cinglant laissant entendre que la première union n’a pas été consommée. La nature incomplète de Tracy se pare de niveaux de lecture osé et étonnamment direct. La conclusion est sans doute un peu trop bavarde et confuse pour aboutir à la fameuse « comédie du remariage » (la construction de Vacances amenait un pic émotionnel bien plus fort) mais Indiscrétions n’en reste pas moins une pure merveille de romantisme. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

 

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