Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 6 décembre 2015

Django Unchained - Quentin Tarantino (2012)

Dans le sud des États-Unis, deux ans avant la guerre de Sécession, le Dr King Schultz, un chasseur de primes allemand, fait l’acquisition de Django, un esclave qui peut l’aider à traquer les frères Brittle, les meurtriers qu’il recherche. Schultz promet à Django de lui rendre sa liberté lorsqu’il aura capturé les Brittle – morts ou vifs. Alors que les deux hommes pistent les dangereux criminels, Django n’oublie pas que son seul but est de retrouver Broomhilda, sa femme, dont il fut séparé à cause du commerce des esclaves…

Kill Bill Volume 1 et 2 (2003,2004) et leurs déluges d’influences avaient initiés le cycle « référentiel » (ou du moins sa nature aussi prononcée dans le contenu de ses films) de Quentin Tarantino ainsi que son exploration du thème de la vengeance. Ce n’est pourtant qu’avec le mal-aimé mais fascinant Boulevard de la mort (2007) que se développerait réellement le projet filmique du réalisateur. L’idée sera de revisiter le genre très codifié du slasher et au sein du même récit d’en donner le déroulement classique puis l’antithèse où les éternelles victimes féminines vont sévèrement se rebiffer contre le serial-killer automobile incarner par Kurt Russell. Les héroïnes cinéphiles semblaient en tirer une force supplémentaire qui leur permettait de contrebalancer le schéma établi dans un jubilatoire élan féministe. Dès lors Tarantino allait dans une ambition plus vaste étendre cette idée à l’échelle de la grande Histoire dont les grandes victimes pourraient obtenir réparation par le prisme de la puissance cinématographique. Le résultat serait le brillant Inglorious Basterds (2009), faux film de commando et vraie revanche des juifs sur le régime nazi ou dans une uchronie scandaleuse Hitler, Goebbels et tous les pontes du Troisième Reich étaient sauvagement décimés durant la projection d’un film de propagande. Le film était une vraie œuvre de vengeance jubilatoire (le sort final du SS incarné par Christopher Waltz) tout en constituant une vraie réflexion sur la violence et esquissant des références plus subtiles, le récurrent Sergio Leone cédant progressivement au Ernst Lubitsch de To be or not to be (1942). 

Django Unchained se propose de poursuivre l’entreprise en permettant cette fois aux esclaves afro-américains d’obtenir réparation. Le film est bien sûr un clin d’œil à Django (1966) de Sergio Corbucci, classique du western spaghetti soit un genre imprégnant l’œuvre de Tarantino (Kill Bill Volume 2 et Inglorious Basterds surtout) et dont la brutalité imprégnera le récit. Si l’homonyme incarné par Jamie Foxx poursuit une quête de vengeance voisine (se venger de ceux lui ayant arraché son épouse) le fait qu’il soit afro-américain amène une autre somme d’influences puisqu’il arborera tous les attributs du héros de blaxploitation déplacé dans un cadre de western. La période historique abordée évite cependant d’amener de manière trop appuyée cet aspect référentiel, Tarantino frustrant une fois de plus les cinéphiles paresseux espérant la simple redite d’un genre emblématique (les attentes d’un film de commando ou de slasher classique décevant les attentes pour une proposition bien plus passionnante).

Django Unchained est le récit de la construction d’un héros dont la dimension cinéphile sous-jacente constituera la force. Le film se divise en deux parties définissant cela. La première est celle de l’apprentissage au côté du mentor King Schultz (Christopher Waltz), chasseur de prime qui va délivrer l’esclave Django car il est le seul à pouvoir identifier ses prochaines cibles. S’attachant à son protégé, il va lui apprendre les arcanes du métier pour ensuite l’aider à délivrer son épouse d’une sordide plantation sudiste. Django encore rustre et intimidé y découvre ainsi la virtuosité arme poing de Schultz, son intelligence méthodique et son art de la joute oratoire en forme d’esbroufe pour mieux duper l’ennemi lors de péripéties hautes en couleur. Christopher Waltz offre un pendant positif du méchant qu’il incarnait dans Inglorious Basterds, son bagout et sa truculence amenant une facette plus attachante qu’intimidante. Le point commun serait leur nature impitoyable dans leur métier et c’est ce qui amène un des moments pivot du film. Guettant un des malfrats mis à prix qu’ils traquent, Django hésite à froidement l’abattre pour la prime car celui-ci est devenu fermier et se trouve aux côté de son jeune fils.

Schultz lui rappelle les crimes de leur cible et que ce métier est ainsi fait de cette justice expéditive. Django s’exécute et apprend la leçon. Tarantino aura beau entourer la vengeance d’une aura extatique et excitante, les chemins qui y mènent sont pavés de noirceur et de sacrifices. L’assouvissement amer de Kill Bill 2 était là pour le rappeler et la mort du méchant « de cinéma » de Inglorious Basterds était bien plus savoureuse que le carnage halluciné des nazis bien réels dans la salle de cinéma où Tarantino vengeait l’Histoire tout en renvoyant dos à dos dans la barbarie agresseurs et agressés. La vengeance n’est jamais plus puissante finalement que dans la quête individuelle du héros et c’est seulement là qu’il est captivant de lui faire endosser cette revanche sur l’Histoire qui l’a oppressé. Cette première partie intègre ainsi Django dans le monde de Schultz, lui confère une identité et l’entoure d’une aura mythologique en l’associant à un Siegfried moderne affrontant le dragon esclavagiste pour sauver sa Brunehilde. 

Dans cette volonté de tisser le lien mentor/élève et l’amitié unissant Schultz et Django, Tarantino se déleste d’ailleurs de ses afféteries narratives comme le chapitrage pour un récit linéaire qui file droit, une vraie odyssée d'un classicisme flamboyant dans son esthétique (les intérieurs habituels du cinéastes cédant aux grands espaces américains). Le décalage n’intervient que durant l’hilarante scène des cagoules des membres du Ku Klux Klan (la leçon de To be or not to be a été retenue, pour dénoncer une idéologie barbare en démontrer le ridicule reste encore le moyen le plus efficace), dans la définition de son héros encore mal dégrossi (Django manifestant son individualité par sa tenue criarde une manière de se moquer gentiment de l’attrait des noirs pour les tenues voyantes, blaxploitation style) et soumis à ses émotions. La revanche envers les trois négriers apporte pour la première fois une présence iconique à Django et laisse tonner le thème original de Luis Bacalov issu du film de Corbucci, l’inversion s’opérant par le dialogue (I like the way you die boy) et les actes lorsque symboliquement il arrache le fouet pour l’abattre sur son ennemi.

La seconde partie est un pendant inversé ou Django retrouve désormais plus fort le monde esclavagiste et doit en enseigner les arcanes à Schultz. Pour délivrer son aimée ils devront en effet s’acoquiner au féroce Calvin Candie (Leonardo Di Caprio) propriétaire sudiste sournois et amateur de mandingue (luttes d’esclaves). Django tout à son objectif sait enfin faire preuve de froideur et d’assurance quitte à passer pour le pire des traitres à sa race en simulant être un noir libre et négrier. Les rôles s’inversent avec un Schultz sans états d’âmes avec ses cibles mais incapable de supporter la barbarie des états du sud. Même s’il assume sa nature de divertissement, Django Unchained illustre avec autant sinon plus de crudité qu’un 12 years a slave (2013) la cruauté des  traitements infligés aux esclaves. Les scènes de mandingues ou cet esclave évadé dévoré par les chiens sont insoutenables tout en faisant preuve d’une retenue contrebalançant avec la violence « fun » d’autres instants du film. 

Les rires gras des traqueurs lors de la scène des chiens ou l’excitation de gamin de Candie face au combat sanglant amènent une froide distance sur leur désinvolture face à l’innommable. Django dont cela a constitué l’existence serre les dents en attendant son heure tandis que ses images imprègnent durablement Schultz. La bonhomie et la malveillance ordinaire de « l’oncle Tom » (expression péjorative sur les noirs exagérément déférent à l’homme blanc) Stephen (incarné par Samuel L. Jackson avec un sacré maquillage) en fait cependant le vrai antagoniste de l’histoire. Si Candie est un effroyable raciste se cachant sous un pseudo raffinement (voir la scène où il théorise sur le crane d’un esclave pour définir la soumission innée des noir), Stephen est son âme damnée, satisfait de sa position et horrifié à l’idée de voir un congénère s’émanciper. Une figure passionnante dont Samuel L. Jackson parvient à faire dépasser l’aspect caricatural.

Jamie Foxx est parfait dans le rôle-titre car ayant compris le côté « work in progress » de son personnage – ce qui ne fut pas le cas d’un Will Smith immodeste qui refusa le rôle car il trouvait Django trop passif. En retrait, naïf et craintif au départ, trop démonstratif dans un premier temps pour signifier son statut d’homme libre (le fameux ensemble bleu clinquant) puis enfin taiseux, plein d’assurance et à la répartie fulgurante une fois assumé ce statut héroïque - et surtout un amoureux éperdu, toutes les apparitions fantômatiques de Broomhilda apportant une sensibilité poignante. Tout le film aura tendu vers cette évolution, une longue et haletante joute verbale à l’issue sanglante dont Tarantino a le secret signifiant le passage de relai entre Schultz et Django. 

Notre héros est enfin prêt à se libérer sans son mentor dont il aura assimilé l’éloquence trompeuse (superbe scène où il entourloupe les négriers cupide), la dextérité arme au poing et un sens de la mise en scène qui rend le final vengeur d’autant plus jubilatoire. Après l’élégant classicisme de la première partie (où seules les gerbes de sang,les trognes, la saleté et quelques zooms agressifs évoquent réellement le western spaghetti), Tarantino opte pour un style plus heurté (le gunfight dans le domaine, assez inédit dans le western comme du Peckinpah en accéléré) où s’immiscent des titres hip hop dictant une modernité participant à la prise de pouvoir de Django. Enfin lui-même, osant les poses frimeuses sous le regard énamouré de sa Broomhilda (Kerry Washington), Django est définitivement libéré de ses chaînes pour rentrer dans la légende. Une grande réussite de plus pour Tarantino.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sony 

2 commentaires:

  1. J'ai beaucoup aimé ce film où la « vengeance jubilatoire » est présentée de façon extrêmement généreuse, et presque enfantine, par Tarantino. On tuera tous les méchants, et la vie sera belle.
    J'aime particulièrement la scène où, alors que le marché est pratiquement conclu, et qu'ils vont récupérer Broomhilda, Calvin Candie (Di Caprio) exige qu'ils se serrent la main. On pourrait croire qu'ayant fait le plus dur, Schultz va accepter ce geste qui lui répugne. Et en fait, non, c'est la chose impossible, le seuil intolérable, qui déclenchera la tuerie. Ce moment où tout peut être remis en question, y compris sa propre vie, pour quelque chose, un geste, qui peut paraître dérisoire, anecdotique, cette force de refus, le « non » qui se loge dans un détail, me paraît assez sublime, et typique de ce qui fait l'humain.
    Bien à vous,
    Catherine

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  2. Oui c'est un moment fondamental qui montre les limites morales de Schultz impitoyable dans son domaine de compétences (chasseur de prime) mais ne pouvant accepter de s'acoquiner avec la vraie barbarie représentée par Calvin Candie. Et c'est essentiel pour la transmission de relai et l'émancipation de Django de l'ombre de son mentor. Sur la tension du moment et du point de vue thématique une grande scène parmi tant d'autres. J'attends avec impatience ses Huit salopards qui sortent bientôt !

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