Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

lundi 20 juillet 2015

A Touch of Zen - Hsia nu, King Hu (1970)

La Chine sous la dynastie Ming. Yang Hui-chen, dont le père a été assassiné par la police politique du Grand Eunuque Weï, a réussi à s'échapper avec l'aide de deux généraux rebelles. Ayant trouvé refuge dans une citadelle frontalière abandonnée, la jeune fille est repérée par des espions impériaux. Pour l'aider à affronter les gardes lancés à sa recherche, elle trouvera un soutien inespéré auprès de Gu Sheng-chai, un jeune lettré qui se révèle un redoutable stratège, et surtout de Maître Hui-Yuan, un moine bouddhiste dont la force spirituelle n'a d'égale que sa maîtrise des arts martiaux…

A Touch of Zen constitue un des sommets de la filmographie de King Hu mais également de la reconnaissance du cinéma asiatique en Occident avec le Grand Prix de la Commission supérieure technique qui lui fut attribué au festival de Cannes en 1975. Le cinéma japonais s’était révélé au monde avec le Lion d’or obtenu à Venise par le Rashomon (1951) d’Akira Kurosawa, la Mostra contribuant aussi à l’intérêt pour le cinéma indien avec le Lion d’or remporté par L’Invaincu (1956) de Satyajit Ray. Le cinéma martial hongkongais et chinois s’était tracé un chemin sinueux jusqu’aux salles occidentales, que ce soit les classiques de la Shaw Brothers renommés et redoublés hasardeusement dans les cinémas de quartier français ou les émigrants chinois projetant confidentiellement les succès locaux pour leur communauté aux Etats-Unis. Ce n’était que justice que la reconnaissance critique arrive avec le plus érudit et exigeant des cinéastes chinois, King Hu.

Le titre cannois va même sauver le destin d’un film à la production chaotique et au succès mitigé en salle, témoignant de l’exigence et du caractère insoumis de King Hu. Introduit à la Shaw Brothers en 1958 par son ami  Li Han-hsiang, il y gravira progressivement les échelons jusqu’à y accéder au poste de réalisateur. L’Hirondelle d’or (1966), son troisième film au sein de la firme posera les bases du wu xia pian - film de sabre chinois – et remportera un immense succès dans toute l’Asie. King Hu profite des moyens mis en œuvre par la Shaw Brothers pour enfin concurrencer le chambarra japonais et y dévoile déjà tout ce qui fera le sel de ses films martiaux. On trouve notamment l’influence de l’Opéra de Pékin avec une action reposant plus sur l’accompagnement du mouvement que sur les chorégraphies complexes, misant plus sur la mise en scène que les compétences martiales des acteurs dont le réalisateur attend seulement qu’il se déplace avec grâce d’où le choix de Cheng Pei-pei à la formation de ballerine. Le féminisme du réalisateur s’y manifeste également avec son héroïne travestie en homme (prolongeant là aussi une tradition de l’opéra chinois) tout en introduisant une certaine rigueur historique. Ce perfectionnisme aura un prix et King Hu sera harcelé durant tout le tournage pour sa lenteur par Run Run Shaw, patron de la Shaw Brothers. 

Insatisfait du résultat en dépit du triomphe commercial il claque la porte du studio pour s’installer à Taiwan où il façonne littéralement l’industrie cinématographique locale. Dragon Gate Inn (1967) sera sa première réalisation « indépendante » et ajoute les derniers éléments bridés sur L’Hirondelle d’Or. Le film constitue le deuxième volet de sa « trilogie des auberges » (conclue avec L’Auberge du printemps en 1973) et tient plus ouvertement compte du contexte politique complexe de la Dynastie Ming avec cette opposition entre les eunuques tyranniques contrôlant la police secrète et la garde impériale et les lettrés porteur de la tradition chinoise. Un cadre prétexte aux trames d’espionnages et de complots alambiquées pour lesquelles le réalisateur se donnera à cœur joie sur Dragon Gate Inn, A Touch of zen, L’Auberge du Printemps et même des purs film historiques dénués d’arts martiaux comme All the King’s Men (1983). Dragon Gate Inn restera le plus grand succès commercial du réalisateur et où il affinera en toute liberté les idées qu’il n’avait pu développer sur L’Hirondelle d’or. Il a désormais toute latitude pour s’attaquer à son projet le plus personnel et ambitieux, A Touch of Zen.

On y retrouve poussé à la perfection toutes les qualités des œuvres précédentes, le réalisateur y voyant un écrin idéal où exprimer sa sensibilité artistique. Adapté d’un ouvrage de Pu Songling - dont sera adapté bien plus tard Histoires de fantômes chinois (1987) - A Touch of Zen s’inscrit dans le pur récit classique de chevalerie chinoise mais King Hu n’y définit pas le courage par la seule valeur au combat. Le héros Gu Shengzai (Chun Shih) est au contraire un jeune lettré sans le sou qui aura privilégié l’érudition à une carrière ambitieuse de fonctionnaire au grand désespoir de sa mère. L’aventure va pourtant frapper à sa porte lorsqu’une mystérieuse voisine Yang Huizen (Hsu Feng) va s’installer. Il en tombe rapidement amoureux mais cette dernière est traquée par les agents de l’Eunuque Wei, responsable de la mort de son père et cherchant à se débarrasser du dernier témoin de son infamie. C’est l’occasion pour Gu d’user de son savoir à des vertus héroïque, ses talents de stratèges s’avérant aussi essentiels que le brio de Yang et ses alliés au sabre pour venir à bout de leurs ennemis.

Gu constitue un double de King Hu et montre une nouvelle facette de ce qu’il n’aura eu de cesse d’affirmer à travers ses personnages, la rébellion. Celle-ci peut s’exprimer contre le pouvoir politique en place toujours représenté par des méchants aussi charismatiques que cruels et ne pourra s’accomplir qu’à l’atteinte d’une vraie paix intérieure. On trouvait les prémices de cette idée dans L’Hirondelle d’or avec son bretteur alcoolique forcé de trouver l’équilibre pour vaincre son condisciple bien plus puissant que lui. Cette plénitude, Gu l’atteindra avec son amour pour Yang donnant une raison d’être à sa quête de savoir tout comme celle-ci trouvera avec lui un apaisement à sa vengeance. Tous deux expriment une idée de la rébellion tournée vers la civilisation quand le personnage du moine Hui Yuan (Roy Chiao) symbolise à lui seul la singularité se conjuguant à l’éveil spirituel. Le romanesque désespéré accompagne donc magnifiquement la mystique bouddhiste dans la dernière partie épique.

King Hu fait passer ces concepts par l’image, notamment sa manière de filmer la nature en véritable prolongement des états d’âmes des personnages. Le souffle du vent, le frémissement des feuilles et la silhouette des arbres deviennent ainsi des plus inquiétants lors de la visite nocturne de Gu dans la demeure hantée. A l’inverse l’éclat du soleil, la verdure de la végétation et les bruissements de de l’aube semblent briller d’une force nouvelle après la première nuit d’amour de Gu et Yang. Enfin la perte de repère, les lumières incandescentes et les couleurs psychédéliques dans un paysage désertique nous plongeront dans le trip « zen » du final. Cette puissance formelle atteint des sommets lors des scènes de combats. Les compositions de plans de King Hu sont inspirées des rouleaux de peintures chinois et il associe à cette imagerie un sens du mouvement étourdissant. 

Les travellings frénétiques accompagnent les confrontations dans la pénombre de forêt de bambous, le fracas des armes et des corps se faisant par un montage nerveux et subliminal, les inserts fugaces sur cette fameuse nature s’invitant entre les coups. Les lois de la gravité sont bien entendu défiées avec ces combattants bondissants, King Hu jouant sur découpage alliant précision et abstraction quand ils délivrent leur botte secrète. L’important pour lui est de ressentir le mouvement plutôt que de le voir dans son entier, cette approche artisanale comportant bien plus de poésie que les tentatives numériques des « successeurs » (si ce n’est Tsui Hark qui même en CGI ne se déleste jamais de son côté foutraque et bricolé) comme Zhang Yimou faisant basculer la magie de King Hu dans un rococo malvenu sur ses Hero (2002) et Le Secret des Poignards Volant (2004).

Le film permet à King Hu d’étaler l’ensemble de son bagage artistique, lui qui avant de rejoindre Hong Kong s’initia au plus jeune âge à la calligraphie (il signait lui-même celles figurant dans les génériques de ses films) et fut diplômé de  l’Institut National des Beaux-arts de Pékin. Son érudition en histoire chinoise se traduira par des détails infimes qui différencient cependant A Touch of Zen du wu xia pian standard. Alors que chez un Chang Cheh les guerriers arborent fièrement leurs sabres en bandoulière (décalquant en fait les héros de westerns et leurs revolvers), King Hu plus rigoureux les faits dissimuler par ses personnages dans leur tunique (le méchant Ouyang Nian notamment), ses intrigues reposant sur les faux-semblants où au contraire il s’agit de ne pas dévoiler ses aptitudes.  Démarré dans la foulée de Dragon Gate Inn, le tournage s’étalera pourtant sur près de trois ans, la maniaquerie de King Hu étant source d’interruption étonnante. Ainsi, pour remédier à un paysage plus raccord à cause du changement de saison le réalisateur impose à son producteur d’interrompre le tournage et de revenir dans un an ! 

Entre tous ces atermoiements, la mode n’est plus au wu xia pian historique quand sort le film mais plutôt au film de kung fu brutaux et contemporains de Bruce Lee. La distribution catastrophique du studio - qui en sort une première partie alors que le tournage se poursuit, sans prévenir qu’il s’agit d’un volet appelant une suite – n’aidera pas et le film sera un échec à Taiwan et Hong Kong. A Touch of Zen sera donc sauvé par Pierre Rissient éblouit malgré la version mutilée dans laquelle il le découvre et contribuera à sa sélection à Cannes où il est projeté dans son montage intégral. King Hu même si consacré sur la Croisette aura néanmoins payé le prix fort pour sa fresque, rendant le financement de ses œuvres suivantes plus difficiles et rencontrant l’échec commercial – mais certainement pas artistique, le splendide Raining in the mountain (1979) montrant une grâce intacte.

Ressort en salle le 29 juillet en copie restaurée 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire