Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 4 août 2014

L'Auberge du sixième bonheur - The Inn of the Sixth Happiness, Mark Robson (1958)

Dans les années 1930, une jeune gouvernante britannique tente en vain d'être envoyée en Chine comme missionnaire. Elle travaille donc à Londres en économisant petit à petit pour se payer son billet de train vers la Chine. Grâce à son patron, elle est attendue dans une auberge tenue par une vieille missionnaire dans la campagne retirée du nord de la Chine. Arrivée là-bas, elle gagne le respect des gens et devient inspecteur des pieds, pour surveiller que les pieds des petites filles ne soient plus bandés.

Le succès d'Anastasia (Anatole Litvak, 1956) avait permis à Ingrid Bergman de retrouver le succès et les faveurs d'Hollywood (Un second Oscar de la meilleur actrice à la clé et un Golden Globe) après une mise à l'écart de sept ans à cause de son union à scandale avec le réalisateur italien Roberto Rossellini. La star allait renouer pour un nouveau grand succès avec le producteur Buddy Adler dans cette Auberge du sixième bonheur. Le film est le biopic (adapté de l'ouvrage The Small Woman de Alan Burgess) de Gladys Aylward, missionnaire anglaise installée en Chine au début des années 30 et vraie icône locale pour les actions humanitaire qu'elle mena dans le pays dont un fameux exploit qui fit sa légende quand en 1938 elle guida cent orphelins chinois à travers les montagnes en pleine invasion japonaise. Ce destin pourtant suffisamment hors-norme passe à la moulinette hollywoodienne pour plus de romanesque avec le scénario aux choix discutable de Isobel Lennart.

Déjà le choix d'Ingrid Bergman cède à la volonté d'avoir une star attrayante, la blonde et grande actrice suédoise étant à l'opposé de la petite (d'où le titre de la biographie The Small Woman), brune et typiquement anglaise Gladys Aylward connue pour son accent cockney prononcé. Les longs mois de sacrifices et d'économie de Gladys Aylward pour rejoindre la Chine passe en une ellipse où on la voit vaguement travailler pour un patron bienveillant qui la recommandera à une amie installée dans le pays.

C'est à travers une même ellipse abusive que le long et périlleux voyage en transsibérien défile en un clin d'œil (quand en vérité du fait des relations compliquées entre la Russie et la Chine elle dû descendre bien avant l'arrivée et finir le voyage en partie à pied), le train l’amenant pile à destination sans autres difficultés. Enfin, le personnage vit une histoire d'amour avec chinois, enfin plutôt un eurasien joué par Curt Jürgens tandis que Robert Donat (pour ce qui sera son dernier rôle) grimé jouera un mandarin local pour bien céder à toutes les conventions possibles. Tous ses changements vaudront la colère de la vraie Gladys Aylward, aussi indignée par ses aménagements de la réalité que par le choix d'Ingrid Bergman sur laquelle elle pose le même regard moralisateur que l'opinion américaine pour son passé.

Pourtant une fois acquise toute ces facilités le film s'avère réellement prenant et réussi car réussissant à cerner le sens de la dévotion de Gladys Aylward grâce à la prestation habitée d'Ingrid Bergman. L'aspect toujours discutable d'un des objectifs des missionnaires visant à convertir les "âmes égarées" dans le christianisme est bien présent mais habilement contourné. Gladys a vécu en Angleterre une existence sans éclat de domestique mais a tout au long de cette période ressenti un appel vers l'ailleurs et plus précisément la Chine, une terre qu'elle fera tout pour rejoindre. Pourtant sa modeste condition sera un obstacle même pour cette âme dévouée, la mission chinoise anglaise refusant sa candidature car elle n'est pas "assez qualifiée".

Fixée à son objectif, elle rejoindra donc la Chine par ses propres moyens mais une fois sur place et après le décès de son mentor Jeannie Lawson (Athene Seyler) et là encore les autorités locales lui refuseront tout aide, sa mission étant vouée à l'échec car elle n'a pas assez d'expérience, elle n'est pas assez qualifiée. Gladys apparait ainsi comme une figure fragile mais déterminée d'abnégation, si convaincue de sa destinée qu'elle saura en convaincre les autres. La condescendance du missionnaire pensant "civiliser" les autochtones n'est pas la sienne car elle connaît ce type de mépris et comme le soulignera un dialogue, s'il y a une plaie à bander, des démunis à nourrir ou un enfant à soigner elle sera là et sans poursuivre d'objectifs qui la dépasse.

Cet humanisme désintéressé la verra adoptée rapidement par les chinois, lui faisant réussir les tâches impossible lui étant confiée pour la décourager comme lorsqu'elle sera nommée Inspecteur des pieds et traversera les villages pour convaincre les familles de mettre fin à la tradition de bander les pieds des jeunes filles. Ingrid Bergman incarne parfaitement cette image idéalisée de bienveillance et de gentillesse, le scénario évitant d'en faire une sainte en faisant passer souvent cela par l'humour. On sourit notamment à cette scène où elle adopte un bébé abandonné, Curt Jürgens lui reprochant son manque d'expérience en la matière pour découvrir en rentrant chez elles qu'elle a déjà fondé une petite famille d'enfant recueillis.

Même l'histoire d'amour décriée est finalement amenée pour humaniser le personnage. C'est une humanisation mutuelle d'ailleurs, Curt Jürgens s'étant fermé à tout émotion pour se dévouer à sa tâche militaire va se trouver ébranlé peu à peu dans sa froideur par l'énergie d'Ingrid Bergman. Elle aussi oubliant qu'elle reste une femme avec des désirs et sentiments au-delà de sa mission s'affirmera peu à peu dans sa féminité, acquérant beauté aux yeux de Jürgens qui la verra autrement. Cette beauté supposé se révéler progressivement est un beau thème aussi même si très relatif avec une actrice aussi avenante qu'Ingrid Bergman.

Néanmoins malgré l'entorse à la réalité la romance parvient à être touchante quand chacun dépasse le rôle qu'il s'est donné pour s'ouvrir à l'autre. Le havre de paix se voit souillé par l'arrivée de la guerre, Mark Robson étant plus inspiré pour faire craindre la menace des japonais que pour l'exprimer, les scènes de bombardements étant assez convenues alors qu'on tremble vraiment lors de la longue et harassante marche finale. L'exotisme factice du film pointe aussi avec ses intérieurs studios criards et ses extérieurs filmés au Pays de Galles donc on repassera pour le dépaysement sans compter que tout le monde parle anglais (mais avec une idée narrative intelligente pour le justifier et se passer de sous-titres). Malgré les scories un joli film donc qui sera un des grands succès commerciaux de 1958.

Sorti en dvd zone 2 français chez Fox

4 commentaires:

  1. Aperçu sur la TNT en VF ce titre apparemment interminable et académique (pas tenu bien longtemps, hélas). De Robson, ancien monteur pour Tourneur et Welles, il faut préférer le court, vénéneux et métaphysique "La Septième Victime", matrice officieuse de "Rosemary's Baby" ou même le médiocre "La Vallée des poupées", qui vaut pour son caractère prophétique lié au sort de Sharon Tate...

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  2. Académique oui (ce qui n'est pas une insulte quand c'est correctement emballé) et quelques grosse conventions mais ça se laisse largement regarder et Ingrid Bergman est excellente. Le film de guerre "L'express du Colonel Von Ryan" avec Frank Sinatra est un très bon Robson aussi même si sa carrière est très inégale. Les gros mélos 50's comme "Peyton Place" avec Lana Turner, sans être à la hauteur d'un Douglas Sirk valent le détour aussi. Je note pour "La Septième Victime" pas vu merci !

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  3. J'aime beaucoup Lana Turner chez Sirk, justement, ou Fleming, Minnelli, Sidney et le mésestimé David Miller ("Diane de Poitiers" mais aussi et surtout "Seuls sont les indomptés", très beau néo-western mélancolique, annonciateur du crépusculaire Peckinpah, avec un couple Gena Rowlands/Kirk Douglas parfait).
    Si vous appréciez les films de train 'virils' (et déviants), je vous recommande aussi "Le Dernier Train du Katanga", exotique et sadique opus du grand chef opérateur des Archers (entre autres), Jack Cardiff, par ailleurs auteur d'une remarquable autobiographie, judicieusement intitulée "The Magic Hour" (chez Faber & Faber).

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  4. Oh oui sacré film "Le Dernier train du Katanga" féroce et brutal un de mes films de commando favoris. J'en avais causé ici sur le blog

    http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2012/01/le-dernier-train-du-katanga-dark-of-sun.html

    Et très beau film que "Seul sont les indomptés" effectivement auquel le premier "Rambo" doit beaucoup. D'ailleurs bonne nouvelle le film ressort en salle en fin d'année

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